Rencontre avec Matisse Vrignaud, designer sonore et compositeur
Pour prolonger cet été qui semble déjà lointain, prenons la direction de l'Abbaye royale de Fontevraud et arrêtons-y le temps, à la date du 8 juin. Matisse Vrignaud, designer sonore diplômé à TALM-Le Mans présente au public un extrait de sa composition musicale, réalisée ici même quatre mois plus tôt.
C'est assis au milieu des herbes folles que nous retrouvons Matisse, juste après sa performance sonore qui a fait résonner les quatre cloches du parc de l'abbaye. Le chant des oiseaux – il y en a près de 30 espèces ici – s'impose à nouveau, après ce voyage musical, fait de tintements et d'échos à l'histoire chargée du lieu.
Brouiller les sens
Designer sonore, musicien de jazz, compositeur... Les casquettes de Matisse sont multiples. Son profil comme son parcours ne sont pas simples à saisir. Diplômé en design à Nantes, c'est à Paris qu'il découvre l'art sonore et acousmatique*. En 2019, il termine ses études, diplômé du DNSEP Design sonore... à TALM-Le Mans.
Compositeur ou designer : pourquoi choisir ? Il dit avoir un rapport "presque plus artistique" au design et ne pas vouloir vraiment faire la différence. Cela tombe bien lorsqu'on est diplômé d'une école d'art et de design.
À l'image de la résidence Voix d'Airain dont il vient de présenter une restitution, il aime travailler in-situ, avec l'acoustique des lieux. Quelques instants plus tôt, c'est avec nos sens qu'il a joué. En actionnant les cloches disséminées autour de nous dans le parc de l'abbaye, nos repères ont disparu. Ici, les façades en pierre de tuffeau réverbèrent les sons :
" J'aime beaucoup travailler avec la perception de l'espace et du temps. Les cloches sont derrière nous et on les entend face à nous. C'est extrêmement étrange comme sensation. L'acoustique est vraiment intéressante : la disposition des cloches, dans un jardin, n'est pas du tout naturelle. Normalement, elles sont dans un clocher. Cela permet donc de nouvelles choses, de nouveaux paramètres de composition. "
Un mois d'hiver et de création
Remontons encore le temps. Février 2024, première édition de la résidence Voix d'Airain. La mission de Matisse, lauréat de l'appel à candidature, est de réaliser trois compositions pour quatre moments de la journée, diffusées dans l'abbaye, avec les cinq cloches exposées dans le jardin.
Le jeune designer parcourt les espaces "de long en large et en travers" et réside dans l'enceinte dont les premières pierres ont été posées il y a près de 1000 ans. Une expérience singulière :
"On a un rapport au temps très long. Il n'y a pas beaucoup d'activité, c'est assez agréable, malgré un côté solitaire, presque austère. C'est super de pouvoir enregistrer la nuit, dans un calme absolu [...]. Et travailler avec les cloches... c'est presque hypnotique de les écouter toute la journée. C'est assez épuisant mais une expérience incroyable".
Prendre des risques
De son propre aveu, Matisse avait des doutes en candidatant à la résidence. Cinq cloches, c'est un gros défi. Qu'est-il possible de faire lorsqu'on peut jouer uniquement avec le tintement ? Finalement la curiosité l'a emporté. Et du travail avec "cet orchestre très capricieux" a résulté "Bronze", un ensemble de quatre pièces de musique, envoûtant.
Oser, essayer, tester : cette approche, Matisse l'a expérimenté à TALM-Le Mans, durant sa formation. Cinq ans après, il souligne la transversalité du DNSEP Design sonore et ce qu'il en a retiré :
Il y a des profils extrêmement différents, chez les enseignants mais aussi chez les étudiants : des gens d'art, du design, des graphistes, des ingé sons, des musiciens... Tout le monde s'apporte énormément. C'est toujours bien d'avoir plein de cordes à son arc. Cela permet d'envisager plein de choses, de ne pas se restreindre à un style [...] C'est une excellente formation, j'ai trouvé ça vraiment génial".
Au-delà de ce qu'il a appris, Matisse retient les rencontres de ces deux ans au Mans : des amis et une "communauté" avec laquelle il reste en contact et dont les membres "'s'entraident, partagent leurs projets, se nourrissent" mutuellement.
Créer et partager
"Faire ce pourquoi j'ai été formé : c'est une chance et un plaisir". C'est en ces termes que Matisse résume son parcours et où il l'a conduit. Plein d'envies et de projets, il confie vouloir "naviguer encore plus entre les styles et revenir à une approche plus art sonore". Il souhaite aussi éditer des compositions musicales pour encore plus de partage et d'échange avec le public, deux aspects qui constituent la matrice de sa créativité :
"On fait aussi de la musique pour soi mais ce qui est intéressant c'est le dialogue avec les autres. C'est presque une manière de s'accorder. On discute et j'avance : c'est la conséquence de leur faire écouter".
La générosité comme moteur de son travail ? Assurément. Et il n'y a qu'à l'écouter pour le croire.
Adham Bnibourk
Communication TALM-Le Mans
*la musique acousmatique : a pour but de développer le sens de l’écoute, l’imagination et la perception mentale des sons. Ceux-ci sont fixés sur un support, on ne voit pas la représentation physique de l’objet qui a produit le son. Les musiciens qui composent cette musique font appel aussi bien aux sons électroniques qu’aux sons naturels.