Repenser l'accueil du Secours Populaire pour ses bénéficiaires
C'est la mission que se sont vus confier les élèves du DNSEP* Design et Territoires de TALM-Le Mans par leurs professeurs Miguel Mazeri et Ludovic Germain. Après une phase d'immersion en tant que bénévoles pour la distribution alimentaire, les étudiant·es ont planché sur différents projets de requalification de l'espace d'accueil rue Jean Jaurès au Mans.
Confrontation avec le réel
Pour les élèves, l'immersion a été double : d'abord par l'implication dans un projet concret, ensuite par la confrontation avec un environnement marqué par les difficultés du quotidien.
Après une journée de formation dispensée par le Secours Populaire, il a fallu aller à la rencontre des bénéficiaires de l'association, et découvrir la réalité de la précarité. Pour Justine en 5ème année, ce n'est pas le rythme "très chargé" et les 50 familles par jour à accompagner qui ont été éprouvants, mais la réalité de leurs situations :
"J'avais peur, je suis assez sensible. J'avais peur de me faire embarquer dans leurs histoires et d'en souffrir. À l'accueil, on nous parle d'histoires lourdes, il faut s'accrocher".
Même appréhension pour sa camarade Amélie, un peu déstabilisée et mal à l'aise au début. Mais de cette première expérience de bénévolat, elles tirent un même constat :
"Beaucoup sont des femmes, elles sont très fortes. Elles ne se laissent pas démonter par rapport à leurs situations. Elles parlent de leur vie avec beaucoup de recul et de force, c'est assez marquant".
Elles ont aussi pu compter sur le soutien et l'implication des bénévoles permanent·es : à l'accueil pour l'encaissement de l'euro symbolique, car comme le rappel Justine, il s'agit de solidarité et non de don, et dans les rayons, pour la distribution.
Une démarche de designer
Souhaitée par les élèves du DNSEP et réalisée sur leur temps personnel, cette phase d'immersion a été utile pour appréhender les usages et la pratique qu'ont les bénévoles et les bénéficiaires du local de l'association, comme l'explique Amélie :
"Cela nous a guidé et nous a appris ce qu'est le travail de terrain. On avait l’œil sur tout. Sans cette expérience, on n'aurait pas compris ce que c'est de faire 15 fois l'aller-retour entre l'épicerie et le congélateur, ce que c'est d'attendre en étant angoissé, de devoir récupérer un numéro pour la queue".
Pour ces futur·es designers profesionnel·les, il en résulte plus de "contraintes" et de complexité mais à la fin, plus de "justesse" dans les propositions : "cela évite une réponse qui soit à côté de la plaque et qui ne soit plus d'actualité deux ans plus tard. On essaie de répondre au plus près des besoins observés".
"Ça sert à quoi ?"
Il y a quelques semaines, le projet a été présenté à la direction du Secours Populaire et aux bénévoles. Sur la table, différentes propositions concernant la signalétique au sol et des murs, un paravent végétalisé, l'assise, les chariots, le système des tickets d'accueil, des jeux pour enfants, un abri extérieur contre la pluie etc.
Si la direction s'est montrée tout de suite "emballée", les bénévoles ont exprimé certaines réserves : "ils pensaient qu'on était vraiment hors sol au début" se souvient Justine. Aux interrogations : "ça sert à quoi, c'est un peu décoratif non ?" il a fallu expliquer la démarche et convaincre.
Après une heure d'échanges et de "superbes idées" données par les bénévoles, le projet a été accepté.
DNSEP Design & Territoires : une certaine vision du métier
La suite, c'est une possible résidence pour des étudiant·es au Secours Populaire afin de fabriquer les équipements. Pour eux, il ne s'agit pas de sous-traiter l'étape d'après mais "de faire le plus possible". "On connaît le cout des matériaux, on a fait les prototypes" rappelle Justine.
Cette volonté de faire soi-même, d'apporter la réponse la plus adaptée au besoins des usagers est à la base de la formation en Design & territoires : "partir des usages pour créer et non l'inverse", "créer pour faciliter les usages" : cette approche a déterminé le choix de Justine, Amélie et leurs camarades pour intégrer ce DNSEP, un choix "fort" selon elles :
"C'est une forme de design assez nouveau, peu exercée encore. C'est un risque qu'on prend. Mais on sait que ce qu'on fait, c'est pour la bonne cause et ça donne une résonnance à notre travail. Nous ne sommes pas les designers qui faisons encore plus acheter et consommer. Il faut qu'on prenne le contrepied de tout ça".
Passer du design d'objet au design de service quand c'est nécessaire, créer des objets qui ont du sens avec des matériaux recyclés et recyclables et qui ne soient pas les énièmes d'une longue série , c'est notamment ce à quoi aspirent les futur·es diplômé·es du DNSEP Design & territoires.
Les élèves qui ont participé au projet sont : Jade Kerhamon, Justine Duguet, Barthélémy Kouakou, Baoliang Wang, Amélie Guilbert, Bérénice Duchemin, Emma Garreau, Noémie Vincent-Maudry, Yuna Thoraval et Coraline Moitie.
*DNSEP : Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique (diplôme d'État au grade master).