Cloud de Christina Kubisch
Installation
Cloud
Structure métallique, câbles électriques, lecteurs multipistes, composition multicanale, casques à induction.
"L'installation Cloud s'inscrit dans la continuité d'une série d'œuvres basées sur l'électromagnétisme et les phénomènes d'induction développée par l'artiste depuis les années 80. Ces installations basées sur ce phénomène physique invitent le public à déambuler le long de câbles électriques disposés de manière à dessiner des formes géométriques évoquant parfois un labyrinthe circulaire médiéval à l'instar de l'oeuvre "Il Respiro Del Mare", ou reprenant les contours de formes organiques et naturelles. Le circuit ainsi formé par ces câbles, une boucle, conduit un signal électrique qui génère un champ magnétique capté par les récepteurs audio, d'abord sous formes de boitiers, puis de casques, mis au point progressivement par l'artiste.
"Cloud" se compose de plusieurs centaines de mètres de câbles - rouges dans cette version - suspendus à hauteur d'oreille dessinant la forme évocatrice d'un nuage. Grâces à des casques audio spécifiques, le visiteur en se déplaçant le long de l'œuvre entend une variété de crépitements, chuintements, sifflements issus de captations réalisées par Christina Kubisch de champs électromagnétiques générés par des disques durs, transformateurs électriques, réseaux internet... À partir de ce matériau sonore l'artiste a élaboré une composition multicanale destinée à être diffusée dans les quatorze circuits qui constituent le "nuage". Comme c'est souvent le cas dans la musique expérimentale ou le sound art, le visiteur/auditeur est ici mis à contribution et invité à une écoute active, mobile. En fonction de sa position, de ses déplacements le long de ce "nuage", il façonne sa propre composition, sa propre expérience auditive de l'œuvre : les différentes pistes audio se superposent, deviennent plus ou moins intenses dans des effets de fade-in et fade-out en fonction de la position occupée et de la vitesse du déplacement de celui-ci.
En rendant audible, mais aussi visible par l'entremise des presque deux kilomètres de câble de l'œuvre, l'inflation des émissions radioélectriques liées aux technologies de l'information et de la communication, Christina Kubisch ne vise pas à une critique ou mise en garde contre les éventuels effets sur l'organisme de ce bain d'ondes permanent. L'artiste allemande explore plutôt ici le potentiel musical, plastique et sonore des sons qu'elles peuvent générer. II semble d'ailleurs que cet intérêt pour les productions sonores liées à des systèmes de communication remonte aux prodromes de la téléphonie. Douglas Kahn, dans son ouvrage Earth Sound Earth Signal (2013) rapporte les veillées nocturnes de l'assistant de Graham Bell, Watson, à l'écoute des "delicate sounds" circulant dans l'unique ligne téléphonique existante à l'époque . On sait également que Thomas Alva Edison qualifiait de "Molecular Music" le son produit par le micro à charbon du téléphone, et qu'un autre de ses concitoyens, Charles Grafton Page, désignait sous l'expression "Galvanic Music" le son fruit de la rencontre fortuite entre une bobine de cuivre électrisée et un aimant en forme de fer à cheval. Dans une perspective de théorie de l'information et de la communication, la composition sonore que propose Chrisitna kubisch, inverse la relation du rapport signal /bruit. Ici, le bruit dû à la technologie devient le signal faisant passer le bruit de fond (crépitements, chuintements) au premier plan de l'écoute.
Alliant la vue à l'ouïe, l'installation fonctionne à la manière d'une synecdoque mettant à portée d'oreille et du regard ce qui serait un réseau veineux mondialisé dans lequel pulse en permanence des flux d'électrons, un signal mondial complexe, invisible, image de la noosphère technologique."
Damien Simon
Christina Kubisch
"La trajectoire de l’artiste allemande Christina Kubisch, née en 1948, se déploie dans cette exposition en plusieurs constellations qui sont autant d’aperçus documentés sur des moments ou des aspects de son travail. Suite à des études d’art axées sur la peinture, puis de musique dans les années 1960 et au début des années 1970 en Allemagne et en Suisse, Kubisch s’inscrit dans des cours de composition et musique électronique à Milan. Dans les années 1970, son approche se nourrit de la musique expérimentale, de la performance, de la vidéo, des féminismes. Elle développe une série de pièces performatives qui troublent les rapports entre corps et instruments de musique, emboîtant embouchure et masques à gaz ou dés à coudre et doigtés. Ces concerts ou actions prennent aussi la forme de protocoles détaillés, documentés par le moyen de dessins, de scripts et de partitions. Déjà à cette époque, mais surtout lors de la décennie suivante, son intérêt se porte sur la traduction de phénomènes imperceptibles par des expériences perceptuelles sonores. L’artiste développe des installations et investit de manière privilégiée des espaces en marge ou marqués, mais également des galeries et musées. Grâce à des cubes ou casques récepteurs, elle rend audibles des champs électriques et électromagnétiques, notamment dans une série de projets intitulée « Écouter les murs » (1982). Depuis, son travail n'a cessé d'explorer les seuils de ce qui est perceptible. C’est également le rapport entre son et lumière, et en particulier l’ultraviolet, qui est le sujet de différents projets des années 1980 aux années 2000. Kubisch génère des transformations subtiles de la perception de lieux intérieurs et extérieurs par des réseaux de fils, des espaces labyrinthiques, des formes végétales."
Clélia Barbut et Anne Zeitz