Un moyen âge émancipateur ?
Journées d'étude et Workshops
Deux journées d'étude et de workshops en partenariat entre TALM-Angers et l'ENSBA Lyon, organisées par C. Maillet (pofesseur·e à TALM-Angers), Camille Pageard, François Aubart et Thomas Golsenne dans le cadre du projet de recherches Tempêtes avec le soutien du Ministère de la Culture, DGCA.
Ces deux journées se dérouleront sur le même principe : le matin, de 10h à 12h, les personnes invitées donneront une conférence qui sera retransmise en ligne et accessible à tou·tes les étudiant·es de TALM-Angers et de l’ENSBA. L’après-midi sera consacrée à un workshop avec un petit groupe d’étudiant·es. Ces séances de travail seront l’occasion de revenir sur les sujets abordés lors des conférences, en les replaçant dans les enjeux généraux du programme Un Moyen âge émancipateur ? (voir ci-dessous). Elles seront alimentées par les interrogations, recherches et documentations apportées par les étudiant·es participant·es.
Ces journées s’insèrent dans le programme Tempêtes, la sorcière, l’eunuque et la commune organisé par Clovis Maillet : « La sorcière » est devenu un programme d’entretiens vidéo (Witch TV, en partenariat avec MO.CO. Montpellier et Aware Archives of Women Artists and Research), le second « Un Moyen Âge émancipateur ? » a lieu entre Lyon et Angers, et le troisième « L'eunuque » se déroule à Paris en novembre 2021 (en partenariat avec Sorbonne Université, la MSH Ange Guépin, et l’Institut de France).
Déroulé de l'évenement
Mercredi 31 mars 2021, à l'Esad TALM-Angers : l’utopie communale
Rencontre et atelier avec Isabelle Frémeaux et Jay Jordan, 10h-17h
Isabelle Frémeaux fut maître de conférences en Media & Cultural Studies au Birkbeck College-University of London pendant dix ans. Elle a mené une recherche sur l’éducation populaire et les formes créatives de la résistance. Jay Jordan est artiste-activiste, à l’origine de « Reclaim the Street » et de « l'Armée des clowns » et a fondé avec Isabelle Frémaux le collectif « The Laboratory of Insurrectionary Imagination ». Entre 2007 et 2008, I. Fremeaux et J. Jordan ont sillonné l’Europe, prenant le pouls d’initiatives post‑capitalistes. Illes en sont revenus avec un docu-fiction et un livre, Les sentiers de l'Utopie (La découverte, 2012). Depuis illes mènent leurs projets depuis la Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes.
Jeudi 1er avril 2021, à l'ENSBA Lyon : Le péché originel du capitalisme
Rencontre et atelier avec Sylvain Piron, 10h-17h
Sylvain Piron est médiéviste, directeur d'études à l'EHESS (Paris). Ses travaux portent sur l'histoire intellectuelle de l'Occident aux XIIe-XIVe siècles, avec une attention particulière pour les courants dissidents et les parcours individuels cabossés (Dialectique du monstre. Enquête sur Opicino de Canistris, Zones Sensibles, 2015). Il mène également une histoire critique de la formation des mythologies économiques dans la longue durée (L'Occupation du monde, ZS, 2018 ; Généalogie de la morale économique, ZS, 2020).
Conférences diffusées sur la chaîne youtube de l'ENSBA Lyon.
Un Moyen Âge émancipateur ?
Le point de départ de ce projet provient de la sollicitation des étudiant·es avec ces trois termes : sorcières, eunuques et commune - trois mots étranges, tirés d’un Moyen Âge imaginaire. Nous sommes SORCIERES, nous féministes, herboristes, force alternative en lutte contre le patriarcat ! Nous allons créer une COMMUNE des arts, pour nous organiser en collectif, et nous émanciper des contraintes de production ! Nous défendons que nos identités de genre n’ont pas toujours été binaires, les EUNUQUES font partie des ancêtres de l’histoire LGBTQI+ ! Ces trois sujets, opportunément convoqués par la pratique, sonnent comme une interpellation : la construction des artistes d’aujourd’hui et leur imaginaire politique s’ouvre sur la convocation politique et libre d’un passé lointain. Face à ces nouvelles formes d’appropriations, nous cherchons à construire un dialogue fécond entre passé et art actuel, un outillage visuel et intellectuel émancipateur pour répondre à ce désir. Silvia Federici, autrice de Caliban et la sorcière, très présente dans les bibliothèques des étudiant·es, s’exclamait dans la présentation de son dernier ouvrage, Le capitalisme patriarcal : « La lutte nous donne la possibilité de récupérer le passé ». Ajoutons : le passé nous donne les moyens de poursuivre la lutte.
Ce rapprochement entre l’imaginaire médiévaliste et des mouvements engagés dans l’anticapitalisme, le féminisme et l’écologie est à la fois nouveau et ancien. Dans les années 1990-2000, l’interprétation politique du Moyen Âge semblait la faculté exclusive de l’extrême-droite, qui communiait autour de Jeanne d’Arc et des « racines chrétiennes de l’Europe », en revendiquant un usage exclusif d’une certaine nostalgie de la féodalité. Or c’est un autre Moyen Âge qui est invoqué aujourd’hui dans des mouvements autonomes marqués à gauche : multiculturel, pré-capitaliste, écologique, donnant plus de place aux femmes dans la société. Il s’approprie la soigneuse et herboriste, devenue sorcière opprimée à l’époque moderne. Il revendique l’organisation des communes comme une alternative au capitalisme globalisé, dans un idéal inspiré des communes méridionales des XIIe-XIVe siècles. Il a construit Jeanne d’Arc et les saints eunuques comme des guerrier·es du genre militant à leur époque pour défendre une non-conformité de genre.
Ce médiévalisme émancipateur n’est pourtant pas une invention toute nouvelle. Au XIXe siècle, certains penseurs socialistes et anarco-syndicalistes comme William Morris ou Pierre Kropotkine avaient déjà vu dans le Moyen Âge une période où l’organisation sociale, le rapport au travail et à la nature constituait un modèle pour penser un monde plus heureux. Les années 1970 avaient vu émerger un mouvement écoféministe dont les revendications s’ancraient dans une féminité au long héritage, celui des sorcières opprimées (Sorcières, les femmes vivent, revue de 1975), et même d’un matriarcat primitif éradiqué avec la révolution néolithique (Marija Gimbutas).