Journée d’étude - Les pierres ont également, le droit au repos. Nos liens lithiques, usages et sensibles.
Cette journée d'étude est organisée par Vincent Voillat, professeur de l'École supérieure d'art et de design TALM-Tours, avec Pauline Julier, Clément Postec, Marta Jecu, Cécile Hartmann et Clara Poirier, et en partenariat avec le Laboratoire des intuitions.
On observe un intérêt croissant pour le vivant, la redéfinition de sa place et son rôle essentiel dans la construction de l’humain dans la plupart des domaines scientifiques de l’anthropologie, en passant par le design ou l’architecture, mais l’ensemble des éléments du non vivant semble porter une attention moindre. La journée d'étude vise à montrer en quoi ces éléments, et particulièrement le monde du minéral, participe pleinement à la vitalité des mondes bien au-delà de l’humain.
Nous explorerons plus spécifiquement les origines communes, entre autres extraterrestres des minéraux. Ces éléments lithiques, toujours en mouvement, permettent d’abolir les frontières entre vivant et matériaux, ancestral et technologique… Ils sont des constituants importants pour la description des territoires réels ou fictifs et il serait nécessaire de ne pas les réduire trop vite à la catégorie de ressource.
À partir d’approches scientifiques, sensibles, artistiques, juridiques ou métaphysiques, nous laisserons la place à la construction d’un récit lithique pour engager une nouvelle mémoire ouvrant la voie en direction d'une nécessaire re-médiation.
Laboratoire des intuitions
Point d'exclamation et flèche sur grille
Le Laboratoire des intuitions (LDI) est une plateforme pluridimensionnelle constituée d’artistes et de théoriciens qui évoluent dans de nombreux champs d’expérimentations et de connaissances, et qui cherchent à construire des liens dynamiques entre les formes de pensée de l'art et des sciences. De l'art à la physique théorique en passant par la philosophie, les sciences sociales ou les mathématiques, ces liens se dessinent en partie à la main. Ce sont en effet les pratiques graphiques qui accompagnent, suscitent, signalent ou modélisent la pensée qui intéressent en priorité le LDI. Le schéma, le diagramme, le croquis, l'esquisse, le bout de nappe crayonnée ne sont-ils pas le lieu d'un langage commun où la pensée se spatialise et se donne à voir, dans la médiation instantanée d'un trait, dans le geste synthétique qui saisit sans délai, qu'il s'agisse de donner forme visuelle à un système théorique ou de donner à réfléchir un dispositif d'exposition ? Enjeu pour l'art comme pour la science : quand un artiste se demande dans quelle mesure l'expérience située d'une forme peut avoir un rapport avec ce que nous savons scientifiquement de l'espace et qu'il interroge le physicien à propos de cette apparente incommensurabilité, les deux finissent par dessiner ensemble. Plusieurs expériences conduites ces dernières années par le LDI en viennent à ce constat : remonter ou redescendre au stade de l'intuition dans la pensée ne doit pas nous engager dans une recherche en matière de théorie de la connaissance, de sciences de l'esprit ou de psychologie cognitive. Il s'agit plutôt de repérer un plan pratique commun où la pensée, quelle qu'elle soit, se découvre visuellement comme forme en mouvement, et devient par le regard le moteur d'une nouvelle dynamique de pensée. Si le LDI décide d'engager à présent une recherche systématique sur les pratiques graphiques de pensée, c'est que celles-ci se révèlent être chaque fois de véritables laboratoires pour l'intuition : c'est là que l'hypothèse ou l'évidence sentie, que la connaissance non encore démontrée ou démontrable se met à l'épreuve, s'élabore et trouve visuellement le langage de sa propre réflexivité et de son échange. C'est aussi le premier test des résultats d'un calcul : la vérité résistera-t-elle à son image, à sa traduction dans le geste graphique ? Que penser à partir de cette situation de la pensée ?
Programme
De 10 h à 13 h, salle plénière de Mame – Cité de la Création et de l’Innovation
Introduction par Thierry Mouillé, professeur de TALM-Tours, puis projection d’une vidéo
Occupy Mars
- Pauline Julier et Clément Postec
Occupy Mars est une enquête menée par Pauline Julier et Clément Postec, artistes et cinéastes, autour de notre relation à Mars et de tout ce qui s’y raconte en creux de notre rapport à la Terre - son sol, son eau, ses éléments - observé au croisement des temporalités passées et à venir.
Développée à partir de recherches et de créations, au moyen d’une démarche protéiforme ouverte à la multiplicité des points de vue - celui des scientifiques, des industriels, des activistes, des rovers, de la matière ou des choses elles-mêmes, l’enquête cherche autant à faire l’état des lieux de la conquête spatiale qu’à expérimenter des narrations alternatives. Dans ce nouvel élan au dehors, qu’est ce qui se (re)joue de nous et comment tenter de jouer autrement et sur un autre plan que celui, unique, d’une nouvelle guerre à gagner ?
D’un sol à l’autre, de Mars à la Terre, il s’agit de composer un seul et même espace critique. Se projeter sur Mars, c’est tenter d’appréhender et de regarder la Terre, alors que le changement climatique et le désastre écologique en cours nous projettent dans un monde inconnu. Mars a été de tous temps le lieu de projections multiples. Aujourd’hui qu’y voit-on ? Pour certains, un devenir terrestre, pour d’autres, l’image du monde aride et invivable qui nous attend.
Occupy Mars libère la planète rouge des narrations dominantes et y installe des amorces de pensées nouvelles et nécessaires. Telle une torsion narrative, un hack, Occupy Mars agit pour ne pas abandonner les espaces extra planétaires et leur exploration à la science seule ou aux puissances économiques.
Occupy Mars se donne comme point d’horizon la production de trois films, une édition et une exposition. En chemin, au cours de l’enquête et des sessions d'exploration pour nourrir le travail, est mis en place un cycle de rencontres publiques. Celles-ci sont archivées et partagées grâce à la publication d’un journal et de pièces sonores, disponibles en podcast.
Une première exploration a eu lieu dans le désert de l’Atacama au Chili, où les sites d’entraînement des rovers de la Nasa côtoient l’une des plus grandes mines de lithium du monde. À partir de ce voyage a été réalisé le film “Follow The Water”, dans lequel les protagonistes racontent leur attachement à ce territoire.
Biographie
Clément Postec et Pauline Julier collaborent depuis leur rencontre en 2016 au sein du SPEAP, laboratoire en arts et politique de Sciences-Po Paris, fondé par Bruno Latour. Pauline Julier est artiste et cinéaste. Ses films et installations ont été présentés dans des festivals, des centres d’art et des institutions du monde entier, parmi lesquels le Centre Pompidou à Paris, DOCLisboa, le Tokyo Wonder Site, le Museum of Modern Art en Tanzanie ou encore au Pera Museum Musée à Istanbul. Clément Postec est conseiller artistique et réalisateur. Ses films ont été présentés en France (Mac Val, Le Fresnoy, Rencontres Paris-Berlin-Madrid, Collège des Bernardins), au Canada (Festival du nouveau cinéma), en Bosnie-Herzégovine et en Italie. Son dernier film Sakina a été montré à l’occasion du festival Côté Court 2020.
A Cultural Interpretation of Stone
- Marta Jecu
Marta Jecu interviendra autour de son cycle d'exposition A Cultural Interpretation of Stone PART I et II, mais également sur les expositions à venir PART III au Musée de Géologie Lisbonne (1-31 Juillet 2022) et au musée de Minéralogie Paris (1 Septembre - 10 Novembre 2022). Cette série d'expositions consacrées aux approches artistiques de la pierre et aux domaines de savoir auxquels elles sont historiquement liées. L’ensemble du projet est le fruit d’une double fascination : d’une part pour la persistance de ce matériau dans l’art et son rôle énorme dans l’histoire des arts, et d’autre part pour la transformabilité et l’hybridité de cette matière – dans le passé comme dans le présent. Support d’information le plus ancien de l’humanité et matière artistique primordiale, la pierre s’offre aux approches interdisciplinaires et exerce une fascination vive jusqu’à aujourd’hui.
Biographie
Marta Jecu est chercheuse assistante au CeiED, Universidade Lusofona, Lisbonne, commissaire d'expositions indépendante et professeure assistante invitée à l'ESAD Université de Caldas da Rainha, Portugal.
Elle a travaillé ces trois dernières années dans les laboratoires de recherche Imera Aix Marseille Université et à la Fondation Maison des Sciences de l'Homme, Paris. Auparavant, elle a été chercheur intégré au CICANT, Universidade Lusofona, Lisbonne. Elle a obtenu son doctorat à Freie Universitaet Berlin. Elle a publié dans des magazines tels que : E-Flux, Kaleidoscope, Berlin Art Link, Idea Art +Society, Journal of Curatorial Studies, Esse Arts + Opinions et dans divers livres.
De 14 h à 17 h, à TALM-Tours
Sur le serpent noir
- Cécile Hartmann
Le Serpent Noir, projet de Cécile Hartmann se déploie autour de la métaphore du serpent noir : le pipeline géant Keystone qui transporte quotidiennement plus de 700 000 barils de résidus impurs, depuis les exploitations à ciel ouvert de l’Alberta, en traversant les Grandes Plaines des Sioux, souillant les terres et les réserves d'eau et engendrant des dégâts écologiques sans précédent. Ce pipeline, soutenu sous l’ère Trump, vient de voir la construction des derniers tronçons stoppée aux premiers jours de l’arrivée de Biden à la présidence des États-Unis, faisant souffler un vent d’espoir nouveau.
Quatre ans après les luttes célèbres de Standing Rock et Sacred Stones, Cécile Hartmann écrit l’archive de ce « temps d'après » où les luttes ont déjà laissé la place aux premières altérations du paysage et des formes de vie. L’artiste en délivre un récit, sans figure humaine, où l’image documentaire se mêle à l’image mentale, enchevêtrement de temporalités et d’espaces dans une plongée au cœur des ténèbres. Les ténèbres, perçues pour leurs potentialités créatrices comme destructrices, sont celles dans lesquelles le monde était plongé « au commencement lorsqu’il n’y avait ni lune ni étoile » ; elles deviennent également le contrepoint à la vision idéalisée des Lumières et de la Modernité (Christophe Colomb n’a jamais découvert l’Amérique) et à l’impasse écologique qui en résulte (l’appropriation et l’épuisement des ressources naturelles).
Un film, Le Serpent Noir (2018-2021), suit le flux invisible du pipeline jusqu'à sa source au milieu de la forêt boréale qui borde le cercle polaire et constitue le cœur du projet, depuis lequel se déploient en rhizome photographies, éléments sculpturaux, wall-painting et sérigraphies. À la frontalité majestueuse des paysages, succèdent des vues cellulaires de la terre ouverte par les extractions. Dans les couches invisibles du sol résonnent des voix qui semblent dialoguer : spectres, nappes d’eau, fossiles animaux, machines. Inspiré par la prophétie du «Serpent Noir» révélée par les peuples Sioux Lakotas dans les années 1930, le film actualise cette vision des premiers habitants de l’Amérique dans les enjeux écologiques actuels : viendra un serpent noir qui envoûtera les hommes et dévorera la terre.
Biographie
Plasticienne et réalisatrice, Cécile Hartmann a étudié l’Histoire de l’Art et l’Esthétique à l’Université des Sciences Humaines à Strasbourg et a suivi un cursus en Art à l’École des Beaux-Arts de Paris.
Elle a vécu à Berlin et au Japon et est aujourd'hui basée à Paris. Elle développe une œuvre caractérisée par sa relation à l'histoire et à la nature en tant que médium. Ses travaux se fondent sur une physique des éléments observés et sur des stratégies de reconstruction du réel. Son travail a été présenté au Carreau du Temple à Paris ; à la Maison d'art Bernard Anthonioz à Nogent-sur-Marne, au Moca Museum to the world, à Hiroshima ; au Museo de Arte Miguel Urrutia à Bogota ; au Fine Arts Museum de Boston et au Seoul Museum of Art. Ces films peuvent être interprétés comme des "archives-poèmes" qui racontent comment l’humanité conquiert et habite la terre. Ils correspondent à une vue horizontale reflétant la rencontre entre le temps géologique et le temps humain, mais aussi à un mouvement vertical qui suit l'eau, les plantes et les corps qui descendent dans le monde souterrain.
Prendre au sérieux l’altérité d’êtres autres qu’humains.
- Clara Poirier
Pour cette journée d’étude Clara Poirier nous présentera l’état d’avancement de ses recherches. Sa thèse porte sur l’altérité dans la nature. L’altérité est une qualité par laquelle on reconnaît qu’une existence est autre, c’est-à-dire qu’elle suit son propre cours, et que l’on n’en détient pas le sens. Elle s’intéresse à la diversité des façons d’être autres qu’humaines, et elle cherche comment, d’un point de vue logique et éthique, ouvrir un espace pour cette altérité dans la pensée occidentale actuelle de la nature. Elle porte une attention particulière aux façons d’être minérales qui nous invitent à considérer des existences qui débordent nos repères, plus que ne le font les êtres vivants, et qui lui semblent particulièrement aptes à percer cet espace pour l’altérité dans la remise en question de notre pensée de la nature.
Biographie
En troisième année de thèse en philosophie de l’environnement au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive à Montpellier (CNRS UMR 5175), sous la direction de Virginie Maris (philosophe) et Anne Charpentier (écologue). Au terme d’un parcours de formation philosophique à Lyon, elle se spécialise en philosophie de l’environnement. Souhaitant sortir du contexte académique pour être au contact de personnes qui travaillent avec la nature, elle fait son stage de fin d’études dans un centre de recherche en écologie scientifique, l’Irstea Lyon-Villeurbanne (désormais Inrae), qu’elle poursuit en thèse dans un contexte similaire, au CEFE.