Hiérarchies et politiques du vivant.
Regards croisés de l’art et des sciences humaines et sociales sur l’humanité et la bestialité
Réunissant artistes, commissaires, philosophes, sociologues, historien.ne.s et théoricien.ne.s de l’art, ce colloque se penche sur l’émergence des discours et des rationalités scientifiques qui, depuis l’aube de la modernité, ont produit de nouvelles lignes de démarcation pour distinguer l’animal et l’homme de la bête. Cette sous-catégorisation du vivant fut l’un des axiomes essentiels de la philosophie des Lumières, mais aussi
de la mission civilisatrice qui a porté le projet colonial et le capitalisme industriel. Fabuleux vecteur de connaissances et de savoirs, l’episteme moderne est paradoxalement porteur de rapports de domination qui, aujourd’hui encore, demeurent ancrés dans l’inconscient collectif et opérants dans le corps collectif.
Afin d’offrir un éclairage contextuel sur ce qui s’opère alors dans la pensée européenne, ce colloque se penche sur l’histoire des sciences et tout particulièrement sur celles qui se sont attachées à hiérarchiser le vivant à des fins de régulation politique. Dans une première session, il revient ainsi sur la mise en place d’une pensée « républicaine » du rapport à l’animal au lendemain de la Révolution française. Constitutive du corps social moderne, celle-ci questionne un usage (symbolique, coercitif et/ou physique) de la violence rapidement étendu aux catégories déclassées de l’humanité, tout particulièrement les groupes humains minoritaires, genrés ou racisés. Par le biais de la médecine, de la zootechnie, de stratégies militaires ou de technologies de contrôle, les sciences s’appliquent à déterminer ce qui est bénéfique au sein du vivant et ce qui ne l’est pas. Désigner ce qui, au sein de l’humanité, constitue une menace envers l’ordre social consiste également à nommer ce qui doit être traqué et désigné comme un corps-proie, afin d’être amélioré, approprié, exploité, marginalisé ou chassé.
La légitimation de ces rapports de prédation a laissé des traces profondes dans les sociétés occidentales actuelles. Sa rhétorique s’emploie ainsi aujourd’hui très distinctement à l’encontre de ceux et celles dont la vulnérabilité (sociale, culturelle, économique, identitaire) est désignée comme responsable d’une « crise » sociétale (exilé.e.s, immigré.e.s, banlieusard.e.s, émeutier.e.s, féministes, queer…etc.). La seconde session de ce colloque est en cela consacrée à l’observation et à l’analyse d’une conception des nations contemporaines
comme territoires où s’exercent des stratégies d’observation et de dissimulation visant tant à maintenir qu’à renverser des positions de prédation considérées garantes de l’ordre social. C’est notamment au travers de ce prisme que seront observées les politiques et tactiques de maintien de l’ordre dans l’espace urbain et que seront discutées la persistance de pratiques coercitives mises en place en situation coloniale.
La troisième session du colloque interroge les enjeux du maintien d’une forme de colonialité dans nos systèmes de perception, de compréhension et de représentation du vivant. Un retour sur les techniques et technologies de l’observation informe en effet sur l’inscription de gestes coloniaux de découverte, de révélation et de possession dans les associations entre la vue et la compréhension. Il s’agit dans cette session
et la suivante de proposer d’autres approches et d’envisager l’art comme laboratoire d’une résistance aux épistémologies dominantes, impliquant de repenser les relations d’interdépendance entre les différentes composantes du grand corps politique qu’est le vivant.
Comité scientifique : Emmanuelle CHEREL, Sandra DELACOURT, Malik MELLAH, Sophie ORLANDO.
Avec la collaboration des élèves du DNSEP Sculpture de TALM-Tours.
Ce projet reçoit le soutien du Conseil régional du Centre-Val-de-Loire, de l'ENSA Villa Arson, d'Eternal Networks/Les nouveaux commanditaires, et de Mame-Cité de la création et de l'innovation.